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Un bref instant de splendeur / Ocean Vuong
Livre
Edité par Gallimard. Paris - 2020
Un fils écrit une lettre à sa mère analphabète. Il y évoque la schizophrénie de sa grand-mère traumatisée par les bombes au Vietnam, les coups violents de sa mère, son homosexualité mais aussi le pouvoir rédempteur de l'écriture. Premier roman.
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Un bref instant de splendeur - Ocean VUONG - traduit par Marguerite Capelle - Gallimard Du Monde Entier
Dès les premières lignes, le livre se place hors des normes : celui qui prend la parole donne à son récit la forme d’une lettre qu’il adresse à sa mère alors même qu’il sait très bien que cette femme est analphabète : « Chère maman, j’écris pour me rapprocher de toi, même si chaque mot sur la page m’éloigne davantage de l’endroit où tu es ». Cette apparente contradiction porte en elle-même toute l’essence du livre : écrire pour se rapprocher de la mère, c’est annoncer que les choses qui vont être écrites, dites, veulent renforcer la complicité avec elle, en dévoilant des aspects et des moments de la vie dont mère et fils n’ont jamais parlé ; mais l’énoncé de la démarche, le « j’écris », qui n’est pas « je t’écris », porte déjà le regard vers un lectorat plus large dont nous sommes, nous les lecteurs de ce livre. Et nous voilà, lorsque nous ouvrons ce livre, en partance pour le gigantesque voyage d’une vie qui porte en elle de manière définitive et indélébile la guerre qui lui a valu de naître. « Je ne savais pas que la guerre était toujours en toi, ni même qu’il y en avait eu une de guerre, et qu’une fois que ça pénètre en vous, ça ne vous quitte jamais. » C’est dans la vie de Lan, la grand’mère du narrateur, que la guerre a fait irruption, dans son Vietnam natal auquel l’Amérique avait déclaré la guerre. Tout a commencé avec ce coup de foudre, un soir dans un bar, avec Paul, le soldat américain. La suite serait un déroulé banal : un vrai amour, le mariage, la petite fille qui naît. Sauf que Paul repart en Amérique, que la guerre est une violence sans fin, et que le jeune homme qui écrit à sa mère vit dans le Connecticut, avec une mère et une grand’mère pour lesquelles le seul lien avec le Vietnam reste cette langue maternelle qui ne meurt jamais mais que la guerre a coupé : « parler vietnamien, c’est parler en guerre ». Ce livre est une aventure du déracinement. Par petites touches, sur le mode du « Je me souviens », se redessine le parcours de Lan, de Rose sa fille et de ce garçon qui ne se désigne que par le surnom de « Littel dog ». Entre autobiographie et journal intime, la « lettre » retrouve la généalogie, dévoile les coins cachés de la vie de chacun, aborde sans voile les sujets intimes que sont la violence conjugale que subit Rose ou l’homosexualité du narrateur. Un paysage dans lequel la violence extrême, déclarée ou sournoise, n’a d’égale que la tendresse sans borne que partagent les êtres. Une histoire lourde de malheur mais tellement riche de tous ces instants de « splendeur », comme annonce le titre. Ocean Vuong dit « avoir tout mis dans ce livre ». « Je porte ma propre vie. Je la jette devant moi jusqu’au moment où ce que j’ai laissé derrière moi devient exactement ce vers quoi je cours ». L’adresse au lecteur, qu’il soit la mère ou une autre personne, place le récit au-delà de tout risque de narcissisme ou de nombrilisme, même lorsqu’il s’agit de décrire une scène d’amour ou de drame personnel. La jouissance est dite avec les mots qui portent la violence toujours latente dans une société où même le plaisir n’est pas donné sans une part de souffrance. Le lecteur, lui ou elle, est embarqué par une écriture somptueuse (donnée avec maestria par une traduction exceptionnelle) dans laquelle le choix des mots et le soin de l’architecture des phrases transposent la lecture bien au-delà du récit. Ce talent, Ocean Vuong dit le devoir à l’écriture poétique qui lui a donné « les briques » de sa pâte personnelle. C’est elle, l’écriture qui a sauvé le narrateur du danger de la désespérance. C’est elle l’écriture, qui envole la narration, disant si bien combien le talent de l’artiste, ici celui qui écrit, est une merveilleuse lunette pour mieux voir le monde. Pour rencontrer Ocean Vuong avec La Maison de la Poésie https://youtu.be/vyLWAIbZJbU
igolène - Le 26 février 2021 à 13:50